Election présidentielle sur l’île de Taïwan (13 janvier 2024) :
En ce début d’année 2024, les taïwanais vont se rendre aux urnes pour élire le nouveau président et vice-président de cette République de Chine. Cet évènement géopolitique suivi par le monde entier est l’occasion de revenir sur l’histoire de cette île, cruciale pour la Chine comme pour les Etats-Unis, mais aussi de s’intéresser aux candidats et aux enjeux de cette élection. Pour une meilleure compréhension, nous utiliserons les termes de “Chine” pour désigner la “République Populaire de Chine" et de “Taïwan” pour désigner la “République de Chine”.
Anciennement appelée Formose par les portugais1, l’île de Taïwan est marquée par plusieurs changements de gouvernances. Taïwan était notamment rattachée à la Chine entre 1683 et 1895 sous la dynastie des Qing2. Cette domination chinoise prend fin lors de la Première Guerre sino-japonaise, où le traité de Shimonoseki cède l’île à l’Empire du Japon qui en fait une colonie pendant près de 50 ans. La colonisation japonaise est marquée une assimilation culturelle forcée3, que ce soit par l’apprentissage du japonais, l’adoption de noms japonais ou encore la conscription dans l’armée. Les tentatives de rébellions, comme lors de la révolte de Wushe4 en octobre 1930, n’aboutissent pas et l’île est devenue une source importante de troupes pour le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faudra attendre l’effondrement de l’Empire japonais en 1945 pour que Taïwan repasse sous bannière chinoise. La Chine de Tchang Kaï-chek cherche alors à renforcer et à consolider sa présence sur l’île mais l'héritage colonial japonais pose problèmes. Pour cela, le dirigeant chinois va avoir recours à la violence et instaurer la terreur. Par exemple, la révolte du 28 février 1947, plus connue sous le nom d’incident du 2.285, débute par une échauffourée entre un colporteur et la police et se transforme en une protestation générale contre la Chine. Le parti au pouvoir, le Kuomintang (KMT), réagit en arrêtant, torturant et exécutant les communistes et tous les “ennemis” présumés. C’est une manière pour le KMT de démontrer l’autorité et la légitimité de l’Etat sur ce territoire. En effet, à cette époque, la Chine est marquée par des affrontements entre les forces nationalistes du KMT et les forces communistes du Parti Communiste Chinois (PCC). Ces affrontements se terminent par une victoire des communistes sur la Chine continentale en 1949. Battues, les forces nationalistes vont regrouper leurs forces et se replier sur l’île de Taïwan dans le but de planifier une invasion future de la Chine continentale qui n’aura pourtant jamais lieu. A la place, les taïwanais vont connaître une dictature militaire qui durera environ 40 ans et qui est connue sous le nom de “Terreur Blanche”6.
Grâce à son évolution vers la démocratie, marquée par la fin de la dictature et la promotion des droits humains, notamment en devenant le premier pays asiatique à légaliser le mariage homosexuel, Taïwan et la République Populaire de Chine ont désormais des régimes très distincts. Pour autant, les deux Chine revendiquent la souveraineté sur l’autre. Pékin juge la réunification de la Chine et de Taïwan inévitable et utilisera la force si nécessaire7 pour arriver à ses fins avant 2049, le centenaire de la Révolution chinoise. A l’inverse, Taipei revendique aussi l’autorité sur la Chine continentale même si cette idée semble difficilement réalisable. Des tentatives de négociations ont bien eu lieu entre les deux, notamment en 1992. Le consensus8 de 92 reconnaît qu’il n’y a qu’une seule Chine mais que cette notion est sujette à interprétations d’où la situation actuelle où Taïwan se désigne comme la “République de Chine” et la Chine continentale s’appelle la “République Populaire de Chine”.
Aujourd’hui, Taïwan est dirigée par Tsai Ing-wen, la première femme présidente de l’île, qui est membre du Parti Démocrate Progressiste (PDP). Tsai Ing-wen a été élue pour la première fois en mai 2016 pour un mandat de 4 ans et a été largement réélue en 2020 avec plus de 57% des voix. Cette réélection avec un record de 8 millions de voix9 a augmenté les tensions avec Pékin qui la considère comme une séparatiste. En effet, au cours de ses 8 ans à la Présidence taïwanaise, elle a souvent défendu une ligne dure contre Pékin, accusant la Chine de vouloir saper la démocratie et d’envahir l’île. C’est pour cela qu’elle n’a pas hésité à s’opposer frontalement à Pékin comme lorsqu’elle a utilisé les manifestations de Hong-Kong pour rejeter tout rapprochement avec la Chine qui mettait en avant la formule “un Etat, deux systèmes”10. Tsai Ing-wen a aussi reçu Nancy Pelosi, l’ancienne Présidente de la Chambre des Représentants des Etats-Unis, en août 2022. Cet évènement a créé une crise diplomatique entre les Etats-Unis et la Chine qui a lancé des exercices militaires massifs dans l’espace aérien et maritime de Taïwan. Normalement, Taïwan n’est pas reconnue comme un pays, pas même pas les Etats-Unis, et ne devrait donc pas, selon Pékin, avoir de relations diplomatiques avec d’autres pays.
Ayant atteint sa limite de deux mandats, Tsai Ing-wen ne peut pas se représenter. On distingue trois candidats principaux11 pour sa succession le 14 janvier 2023. Le favori est Lai Ching-Te, l’actuel vice-président. Il est issu du même parti que Tsai Ing-wen, le Parti Démocrate Progressiste, et utilise la même rhétorique d’une invasion chinoise de l’île pour gagner des soutiens. Le second est Hou Yu-ih, issu du Kuomintang (KMT). Il est maire de la municipalité de Nouveau Taipei mais est souvent accusé par ses opposants d’être le candidat de Pékin car il est favorable à un rapprochement et un apaisement des tensions avec la Chine. Enfin, le dernier est Ko Wen-je du Parti Populaire Taïwanais qui a été maire de Taipei jusqu’en 2022. Il marque des points en adoptant une position plus neutre par rapport à ses deux adversaires politiques. Un sondage réalisé en octobre12 par le Conseil des affaires continentales du gouvernement taïwanais a montré que seuls 7 % des Taïwanais étaient favorables à la réunification contre 25 % favorables à l’indépendance. En réalité, la majorité des Taïwanais ne veulent ni l'indépendance, ni un rapprochement avec la Chine mais préfèrent le maintien de la situation actuelle.
Quoi qu’il en soit, une des plus grosses craintes liées à cette élection concerne la possible ingérence de Pékin. La Chine mènerait des opérations de manipulation et désinformations autour de cette élection, notamment via les réseaux sociaux. Selon plusieurs études, Taïwan serait même la première cible de désinformation dans le monde entier13. Ces tentatives d’ingérences vont de paires avec des pressions qu’elles soient économiques ou militaires avec l’introduction d’appareils chinois dans l’espace aérien taïwanais. Par exemple, en janvier 2024, quelques jours avant l’élection, la Chine a envoyé un satellite qui a survolé l’espace aérien du sud de l’île, provoquant une panique chez les Taïwanais qui ont appris la nouvelle via une alerte sur leur téléphone14.
Les Etats-Unis s’intéressent aussi de près à cette élection car les enjeux sont importants. Selon le Département d’Etat15, Taïwan est un partenaire clé des Etats-Unis car l’île permet de contrer l’influence grandissante chinoise en Indopacifique. C’est une des raisons pour lesquelles une délégation taïwanaise16 a été invitée au sommet de l’Apec (la Coopération économique pour l’Asie Pacifique) de San Francisco en 2023. Les Etats-Unis défendent notamment la liberté de navigation17 dans le Détroit de Taïwan et rejettent ainsi les revendications chinoises basées sur la ligne de 9 traits, devenue la ligne des 10 traits18 fin 2023. Mais, l’enjeu principal concerne sans aucun doute les semi-conducteurs car l’île, notamment l’entreprise TSMC, produit près de 90% des semi-conducteurs de haute qualité du monde19. Ces derniers sont indispensables pour les nouvelles technologies et donc indispensables pour les grandes entreprises américaines dont les GAFAM. Ainsi, l’élection d’un candidat prônant un rapprochement avec Pékin à la Présidence taïwanaise pourrait influencer la stabilité régionale, les alliances internationales et les chaînes d'approvisionnement mondiales. Cela explique pourquoi Washington surveille cette élection tout en maintenant une ambiguïté stratégique20 autour d’un possible soutien militaire à Taïwan en cas d’attaque de Pékin pour ne pas vexer la Chine qui représente un partenaire indispensable.
Exportation de technologies liées aux terres rares (21 décembre 2023) :
La Chine est le premier exportateur mondial de terres rares21, un terme désignant tout un groupe de métaux, aux propriétés chimiques particulières, notamment utilisés pour la construction de nouvelles technologies comme les batteries de véhicules électriques ou les puces électroniques22. On peut aussi mentionner leur utilité dans le développement des énergies renouvelables comme les panneaux solaires.
Ces terres rares sont importantes pour les marchés américains et notamment les entreprises comme les GAFAM. En 2017, l'Institut des études géologiques des États-Unis (USGS) évaluait que les Etats-Unis représentaient plus de 30% des exportations chinoises de terres rares23. Mais, fin-2023, la Chine a décidé de limiter ses exportations de terres rares vers les Etats-Unis sur le principe de protection de la sécurité nationale. Des restrictions avaient déjà eu lieu en juillet 2023 sur l’exportation de métaux stratégiques, en particulier le germanium et le gallium24. Celles-ci ont été étendues le 21 décembre 2023 par le Ministère du commerce qui a annoncé des restrictions sur l’exportation de technologies liées à l’extraction, au traitement et à la fusion des terres rares25. En réaction, l’administration Biden a annoncé envisager d’augmenter les droits de douanes sur les biens chinoises26, en particulier sur les véhicules électriques, tout en essayant de réduire leur dépendance vis-à-vis des terres rares chinoises. Cela devrait passer par l’ouverture de sites d’extraction sur le territoire américain malgré les critiques des ONG environnementales.
En réalité, ces restrictions chinoises de 2023 font partie intégrante de la guerre commerciale lancée par Donald Trump à son arrivée à la Maison-Blanche en 2017 et qui a été poursuivie par Joe Biden. À cet égard, il est important de noter que la Chine a été condamnée par l'OMC en 2011 pour non-respect des règles d'exportation des matières premières27. Cette condamnation antérieure peut être considérée comme un précédent, soulignant les préoccupations internationales concernant les pratiques commerciales chinoises, et elle aide à contextualiser les tensions économiques actuelles et les mesures de rétorsion de la Chine en 2023 dans le cadre d'un mouvement plus large de nationalisme économique28. Ce dernier se manifeste également par la promotion des entreprises d'État ou le renforcement du contrôle du Parti communiste chinois (PCC) sur les entreprises du pays.
Fermeture des Instituts Confucius aux Etats-Unis (fin-2023) :
Les Instituts Confucius sont des organisations éducatives internationales visant à promouvoir le mandarin et la culture chinoise à travers des cours ou des échanges culturels. Ces Instituts sont souvent perçus comme des outils de soft power déployés par la République Populaire de Chine pour accroître son influence culturelle au niveau mondiale et façonner une image positive de la Chine dans les pays étrangers.
Le premier de ces Instituts ouvre le 21 novembre 2004 à Séoul, la capitale sud-coréenne. Très vite, ils vont se répandre un peu partout dans le monde29, dans 160 pays, sur 6 continents, jusqu’à dépasser le nombre de 500 en 2017. Néanmoins, ces Instituts Confucius sont critiqués pour être un moyen de surveiller les expatriés chinois, pour servir de centre de recrutement à des fins d’espionnage ou de vol de propriété mais surtout pour répéter la propagande du Parti Communiste Chinois (PCC). Cette propagande est notamment caractérisée par la règle des 3T renvoyant aux sujets à ne surtout pas aborder ; à savoir Tian'anmen, Taïwan et le Tibet. Pour ces raisons, les Etats-Unis ont mené, depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2017, une politique visant à réduire drastiquement le nombre d’Instituts Confucius sur leur territoire et notamment sur les campus universitaires américains. En juin 2023, plus de cent Instituts Confucius étaient condamnés à fermer30, réduisant leur nombre à une dizaine aux États-Unis. Puis, en septembre 2023, la Chambre des représentants américains a proposé un projet de loi31 visant à limiter le financement des universités hébergeant encore ces Instituts, accélérant ainsi leur fermeture. À la fin d'octobre 2023, moins de cinq Instituts Confucius subsistaient sur le territoire américain32. Les fermetures massives des Instituts Confucius aux États-Unis en 2023 s'inscrivent dans le contexte des tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine. Cependant, cette baisse du nombre d'Instituts Confucius n'est pas uniforme, car on observe une augmentation de leur présence en Afrique et au Moyen-Orient. En France, il y aurait 17 Instituts Confucius33 dont la présence est aussi controversée.
Références :